Making of Jules Verne - le scénario

En complément de mon interview visible sur le site Planète Bd, j'ai élaboré un making of présentant ma méthode de travail pour le scénario de l'album Jules Verne et l'Astrolabe d'Uranie.



La documentation
Cet album est avant tout le fruit d’un minutieux travail d’enquête car je souhaitais que l’intrigue, bien qu’imaginaire, reste largement inspirée et émaillée de nombreux personnages et faits réels.C’est un fait avéré que Jules Verne truffait ses romans d’anecdotes issues de sa vie. Au début, tout a commencé comme une sorte de jeu. Pour moi c’était amusant de faire le rapprochement entre les biographies officielles et les romans de Jules Verne afin de retrouver ici un nom de personnage, ici un lieu déjà visité…
La légende veut que Jules Verne n'ait jamais quitté son bureau de travail. Je souhaitais montrer qu’en réalité il a beaucoup voyagé : Angleterre, Écosse, Amérique. Amoureux de la mer, il s'offrira trois navires et naviguera au large de la France, l'Angleterre, le Danemark, l'Irlande, les Pays-Bas, l’Espagne et en mer Méditerranée.
J’ai réuni la documentation progressivement, au gré de mes lectures, des films documentaires, des journaux et photographies d’époque, des visites de musées et de mes découvertes sur Internet. J’ai répertorié méthodiquement les anecdotes, les faits, les noms de personnages, les lieux, etc. qui pourraient me servir. Je me suis notamment rendue au Musée Jules Verne de Nantes et à la Maison de Jules Verne à Amiens afin de m’imprégner de l’ambiance mais surtout pour découvrir les objets du quotidien de Jules Verne.

Voici une bibliographie non exhaustive des ouvrages que j’ai utilisés :

De Jules Verne :
  • Souvenirs d’enfance et de jeunesse
  • Une ville flottante
  • Le château des Carpathes
  • Le secret de Wilhelm Storitz
  • Les 500 millions de la Bégum
  • Vingt mille lieues sous les mers
  • Maître du Monde
  • Le Chancellor
  • Robur le Conquérant
  • Paris au XXe siècle
Sur Jules Verne :
  • Correspondance inédite de Jules Verne et Pierre-Jules Hetzel (1863-1886) établie par Olivier Dumas, Piero Gondolo della Riva et Volker Dehs – Editions Slatkine
  • Jules Verne, en mer et contre tous, Philippe Valletoux, éditions Magellan et Cie
  • Jules Verne, Joëlle Dusseau, Editions Perrin
  • Jules Verne, sa vie, son œuvre, M. Allotte de la Füye, éditions Hachette
  • Jules Verne, Herbert R. Lottman, éditions Flammarion
  • Jules Verne, la science et l’homme contemporain, Michel Serres – conversation avec Jean-Paul Dekiss, éditions le Pommier
  • Jules Verne, parcours d’une œuvre, Daniel Compère, éditions Encrage
  • Jules Verne, voyageur ou sédentaire ? Revue Jules Verne, Centre de documentation Jules Verne d’Amiens
  • Jules Verne, l’homme et la terre, la mystérieuse géographie des Voyages extraordinaires, Lionel Dupuy, Editions la Clef d’argent
  • En relisant Jules Verne, un autre regard sur les Voyages extraordinaires, Lionel Dupuy, Editions la Clef d’argent
  • Bulletins de la Société Jules Verne




La structure du récit
Tous ces éléments soigneusement rassemblés sont comme les pièces d’un puzzle. C’est alors le moment que je préfère : imaginer une histoire cohérente mêlant les faits réels et imaginaires.
Pour ne pas me laisser submerger par les détails, je m’astreins à une méthode de travail rigoureuse.
A partir des pièces maîtresses de ce puzzle, j’ébauche rapidement une première trame, un résumé global, attachant une attention toute particulière à la construction de la fin de l’histoire. Le seul moyen pour moi de ne pas perdre mes lecteurs (ou moi-même) dans un récit labyrinthique, c’est de savoir où se trouve la sortie.
En parallèle à cette étape, je réalise une ligne chronologique sur laquelle je place les faits réels et les faits imaginaires. Ce schéma me permet d’avoir une vue d’ensemble et éventuellement déplacer une scène à l’endroit adéquat. Cette ligne chronologique est une véritable colonne vertébrale pour mon récit.



Les résumés des scènes et le découpage dialogué des pages
En ayant toujours à portée de main ces points de repère, je commence l’écriture des résumés de chacune des scènes en décrivant non seulement l’action mais aussi les motivations des personnages. Cela me permet de conserver le fil de la narration pendant la création du découpage dialogué page par page et ainsi maintenir la cohérence du comportement de chaque personnage à travers les scènes.

Résumé de la scène 4 - A bord du Great Eastern (8 planches – p 14 à 21)
Le 18 mars 1867, Jules et Paul sont à Liverpool. Ils embarquent à bord du Great Eastern. Le capitaine, qui a appris leur venue par un membre de la société de géographie, les accueille personnellement et leur présente les caractéristiques et l’histoire de l’imposant navire, le plus grand jamais construit à l’époque. Après avoir pris possession de leur cabine, Jules et Paul partent à la découverte du Léviathan (nom initialement donné au Great Eastern). Ils s’aventurent jusque dans la salle des chaudières. Cette scène est une allégorie du mythe d'Orphée et Eurydice (Orphée descend dans les enfers pour retrouver Eurydice qui est morte). Après avoir traversé les enfers (la salle des chaudières), Jules Verne (Orphée) va retrouver Estelle (Eurydice). En effet, après être remonté sur le pont, Jules bouscule par inadvertance Orpheus qui tentait de se frayer un chemin parmi les nombreux passagers. Celui-ci laisse tomber la grosse malle qu’il transporte. Sous le choc, la mystérieuse machine qui se trouve dans la malle se déclenche. Quelle n’est pas la surprise de Jules qui reconnaît la voix d’Estelle son amour disparu…
Mais pas le temps de se poser plus de questions, Orpheus disparaît dans la foule avec sa malle et le navire quitte Liverpool…

Découpage dialogué des planches 19 et 20

PLANCHE 19
Dans cette page, on passe de la lumière du jour à la pénombre de la salle des machines, puis à la lumière presque surnaturelle de la salle des chaudières qui ressemble à l’enfer.

Case 1
Jules et Paul descendent un escalier qui s’enfonce dans la pénombre.

Case 2
Jules et Paul traverse la salle des machines. Tout est sombre. Les engrenages sont gigantesques.
Au fond du couloir, on peut voir une porte légèrement entrouverte par laquelle émane une éblouissante lumière jaune orangée. Il s’agit de la salle des chaudières.

Case 3
Jules a ouvert la porte. La puissante lumière qui sort de la salle des chaudières projette une auréole autour de Jules et Paul.

Case 4
Grande image. Jules et Paul sont entrés dans la salle des chaudières. Des hommes noircis par les cendres jettent des pelletées de charbon dans les chaudières. Jules est fasciné par ce spectacle qui ressemble à l’enfer.
Jules : Les entrailles du Léviathan sont dignes des enfers !

Case 5
Un machiniste aperçoit Jules et Paul. Il crie dans leur direction.
Machiniste : Hey! What are those guys doing here? *

Case 6
Jules tire Paul par le bras pour sortir de la salle des chaudières.
Paul : Je crois qu’il est temps pour nous de remonter à l’air libre !

* Hé, qu’est-ce que ces types font ici ?

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PLANCHE 20

Case 1
Paul et Jules remontent un escalier en courant. Jules n’est pas très sportif et il peine à monter les marches. Paul se moque de son frère.
Paul : Ahaha ! Alors tu peines à retrouver ton souffle après quelques marches seulement ?! Voilà le résultat de toutes ces journées passées assis derrière un bureau à gratter du papier !

Case 2
Paul et Jules arrivent sur le pont. Les premiers passagers sont en train de monter à bord. L’un de ces passagers est Orpheus. On ne le connaît pas encore mais le personnage ressemble à un savant fou. Il porte une énorme malle de voyage sur laquelle on peut voir le logo de Vulkan Hartman. Il s’agit d’un astrolabe simplifié avec un V à l’intérieur du cercle. Ce logo sera visible sur l’article de journal que Jules va lire et également dans le repère de Vulkan, etc. Dans cette malle se trouve la machine avec l’enregistrement de la voix d’Estelle.
- Pour la malle, voir photo 7 - Malle Orpheus.
- Pour le personnage Orpheus, je pense que ce serait intéressant qu’il ressemble à l'inventeur Rotwang dans le film Metropolis (l’acteur est Rudolf Klein-Rogge) ; Voir photos 8 - Orpheus
Paul : Ca y est ! Les passagers commencent à monter à bord !

Case 3
En arrivant en haut de l’escalier, Jules bouscule Orpheus par inadvertance et fait tomber la malle.
Orpheus : Ach !

Case 4
Jules s’excuse. Orpheus est en colère.
Jules : Veuillez m’excuser, je…

Case 5
Orpheus est penché sur la malle pour la relever. Jules s’arrête soudain de parler. Il est surpris. Il entend la voix d’Estelle qui chante. La voix semble venir de nulle part et flotte dans l’air. En fait, la machine s’est mise en marche quand la malle est tombée. Pour la voix d’Estelle, il faut faire une couleur de texte différente, ou utiliser une police de caractère spécifique (en italique ou dansante avec des notes de musique ?), car c’est une voix spéciale, un enregistrement sur une machine, ce qui diffère des voix des personnes réelles.
Voix d’Estelle (off) : Nel giardino de mille fiori, Andiamo, mio cuore…
Jules : !!

Case 6
Zoom sur Orpheus qui se relève et qui est en colère. Il jette un terrible regard à Jules.

Case 7
Jules regarde Orpheus qui part avec la malle. Il est bouleversé car il est certain que la voix qu’il vient d’entendre est celle d’Estelle mais il ne comprend pas comment cela est possible.
Jules : Sa voix ! …C’était bien sa voix… Sa voix que j’ai tant aimée…
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La transmission au dessinateur
Vient maintenant le moment où je transmets à Carlos les résumés ainsi que les découpages dialogués des pages auxquels j’ajoute des références de films documentaires et des photographies que j’ai trouvées au cours de mes recherches. J’ai d’ailleurs ouvert un compte Flickr afin de partager avec lui toutes ma documentation visuelle. Une image vaut mieux qu’un long discours et pour la crédibilité sur le plan historique les photographies sont sources de précieux renseignements.
Carlos a ensuite toute liberté, pour le choix de sa mise en scène, de modifier, ajouter ou supprimer des cases au moment de créer le story board.

Pour la partie du making of concernant la réalisation graphique, vous pouvez lire l'interview de Carlos Puerta sur le site Planète BD.